mercredi 25 juillet 2012

David Douillet chanceux lors de son premier titre olympique ?

Histoire: le jour où le judoka Khakhaleichvili ne pesa pas lourd
Quel sprinteur s’est qualifié deux fois pour la finale du 100 mètres des JO et ne les a jamais disputées ? Pourquoi les finalistes du 100 mètres des JO d’Athènes dansaient-ils sur la piste le sirtaki quelques minutes avant leur course ? Quel nageur allemand s’est rasé la tête pour gagner quelques centièmes et une médaille ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles répond Petites histoires du 100 m et autres disciplines olympiques, écrit par Etienne Bonamy et Gérard Schaller, anciens journalistes à L'Equipe. Le livre est truffé d'anecdotes savoureuses et à la veille du début des JO de Londres, Au Tapis! a trouvé bon de vous le signaler. Aujourd'hui, le blog publie, avec l'accord de la maison d'édition (Hugo & Cie), les mésaventures du judoka David Khakhaleichvili, champion olympique en 1992 et favori pour garder son titre en 1996, qui ne participa finalement pas à la compétition.

À vaincre sans péril, on triomphe parfois en… père peinard. Alexandru Lungu, judoka roumain de 22 ans, n’est pas loin de le penser ce matin sur le tatami olympique du Georgia World Congress Center d’Atlanta. Le tirage au sort de l’avant-veille l’a promis en « hors-d’oeuvre » à l’appétit de David Khakhaleichvili, champion olympique géorgien des lourds, sacré à Barcelone en 1992. On peut rêver meilleur sort pour débuter le tournoi en ce premier jour des Jeux, ce samedi 20 juillet 1996 à Atlanta.

Mais, à 9h30, sur le tapis en face de lui, il n’y a personne. L’arbitre l’invite à saluer et, du bras droit, le désigne vainqueur d’un combat qu’il n’a pas disputé. Lungu a eu sa chance au tirage.

Khakhaleichvili, lui, à quelques kilomètres de là, reste prostré dans sa chambre au village olympique. Il a été mis ippon avant même de combattre, victime d’une incroyable boulette. Il a tout simplement raté la pesée obligatoire le matin de la compétition. Même pour les lourds, plus de95 kgà cette époque, il faut satisfaire à l’exercice. Toute absence est éliminatoire.

Favori du tournoi, le champion olympique de Barcelone avait été désigné tête de série de son tableau. Il est l’adversaire numéro un de David Douillet, placé dans l’autre tableau. Le Géorgien a dominé le Français en finale du Championnat d’Europe 1993 : 1-0. Le colosse normand a pris sa revanche en finale du Mondial de la même année : 1-1. La belle éventuelle pourrait livrer le nom du futur champion olympique… La gaffe de Khakhaleichvili va tout changer.

L’improbable scénario a commencé à s’écrire le jeudi précédent en fin de journée, lors du tirage au sort dans la salle du Georgia World Congress Center, immenses halls de foire où vont se disputer dès ce 20 juillet les épreuves de lutte, d’escrime et de judo. Le Français François Besson, directeur technique dela Fédérationinternationale, rompu aux grands rendez-vous planétaires de judo, répète aux entraîneurs et dirigeants des délégations présentes les sempiternelles modalités de la compétition. Mais il précise aussi que la pesée matinale du jour de compétition, pour des raisons techniques, aura lieu au village olympique et non à la salle comme à l’accoutumée. Tous enregistrent. Tous, sauf le coach géorgien.

Merab Ratichvili n’est pas venu au tirage au sort. « On m’a traduit ensuite les consignes en nous disant de venir à la salle pour la pesée », jurera-t-il pour sa défense. Comme prévu, ce samedi, l’opération a bien lieu officiellement entre 7 et 8h et tous les combattants, hommes et femmes, s’y soumettent à leur convenance.

Khakhaleichvili, seul judoka géorgien en lice, est ailleurs. Accompagné de son entraîneur, d’un kiné et d’un sparring-partner, il a pris une navette olympique pour rejoindre le Congress Center. Il y entre à 7h20. Seuls quelques volontaires s’activent dans les lieux. Les portes n’ouvriront pour le public qu’à 9h. Dans un dédale d’escalators et de salles, la petite troupe cherche vainement la pesée. Coups de téléphone, palabres, elle comprend enfin son erreur et embarque dare-dare dans une navette vers le village olympique.

« On y est revenu à 7h42, il y avait encore le temps, plaide Ratichvili, mais on a été bloqués par la sécurité à l’entrée à cause d’une alerte à la bombe. » L’explosion en vol du Boeing dela TWA au départ de New York, trois jours plus tôt, a crispé les forces de sécurité. Les contrôles sont redoublés aux accès olympiques. Il faut se soumettre aux fouilles, passer sous des portiques de détection.

Quand le colosse du Caucase arrive enfin à la salle de pesée, il est 8h05. Trop tard. Les Géorgiens protestent, soupçonnent même François Besson de vouloir ainsi favoriser David Douillet, son compatriote. Rien n’y fait, Khakhaleichvili est hors jeu. Il ne lui reste plus qu’à retourner dans sa chambre.

La rumeur de l’incroyable erreur circule autour des tapis du Georgia Congress Center. Diversement commentée. Khakhaleichvili aurait volontairement raté la pesée pour éviter un contrôle anti-dopage, disent certains. Il a masqué une blessure, avancent d’autres.

Le Géorgien n’est pas disert sur le sujet quand il apparaît enfin dans la salle, comme spectateur, trois jours plus tard. Trois jours après le premier sacre olympique de David Douillet, dont on ne sait s’il a regardé le match à la télé. Son absence a « éclairci » le tableau et permis au surprenant espagnol Ernesto Perez d’atteindre indemne la finale face au Français. Le roi David a atteint son but.

L’autre David, Khakhaleichvili, rêvait d’être le tout premier sportif de son pays à offrir une médaille olympique à la jeune république de Géorgie, indépendante depuis 1991. À Barcelone, c’est en effet sous la bannière dela CEI (Confédération des États indépendants), regroupant les États satellites de l’ex-URSS, qu’il était monté sur la plus haute marche du podium. À 25 ans, sa chance est passée. Il n’a pas fait le poids face à un destin si contraire.

Extrait du livre "Petites histoires du 100 mètres et autres disciplines olympiques", par Etienne Bonamy et Gérard Schaller. Edition : Hugo&cie. 240 pages. Prix: 17,50 euros. En librairie. A commander sur le site de la FNAC ou sur Amazon.

http://combat.blog.lemonde.fr/2012/07/25/histoire-le-jour-ou-le-judoka-khakhaleichvili-ne-pesa-pas-lourd/

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